11 novembre 2006

 

La première mondiale est toujours au cœur de nos mémoires. Nous célébrons sans faillir depuis près de 90 ans la fin d’un des plus horribles conflits.

Peut-être parce qu’il s’agit de la première guerre moderne. Peut être parce qu’elle a été une telle boucherie que jamais on ne pourra l’oublier. Peut être parce que, alors que c’était inscrit dans la tradition militaire depuis des siècles, nous n’avons pris conscience à partir de 1918, qu’envoyer des hommes à la mort pour rien ou presque rien n’était plus acceptable.

Je ne parle pas de la guerre en elle-même, mais des centaines de morts pour quelques mètres de terrain, des vies arrachées pour une colline sans intérêt majeur.

Des généraux sacrifiant des hommes pour prouver leur compétence et hélas quelque fois aussi, pour masquer leur incompétence. Souvenons-nous du film de Kubrik « Les Sentiers de La Gloire », longtemps interdit en France, qui racontait l’histoire de cet officier, contraint d’envoyer ses hommes à la mort, le sachant, pour que son supérieur puisse recevoir sa troisième étoile.

A cette époque, la promotion ne tenait pas compte des pertes, mais des mètres carrés gagnés sur l’ennemi. Il fallait de bonnes nouvelles pour les français.

Ceci, il était impossible de le dire ici il y a seulement 20 ans. Personne ne l’aurait accepté. Aujourd’hui, les choses ont changées, sans doute parce que l’armée a changée. Elle est devenue professionnelle, hautement technique, avec des cadres de grande valeur, produit d’écoles d’ingénieurs de haut niveau.

La question n’est plus la masse d’hommes à opposer à d’autres hommes, mais celle de l’utilisation rapide et efficace de moyens technologiques de pointe.

Voyez ce qui se passe en Irak. Ce ne sont pas les opérations de guerre qui coûtent des vies humaines aux USA avec les conséquences politiques qui commencent à apparaître avec le retournement de l’opinion américaine. Ce sont les opérations de maintien de l’ordre qui ont transformé les militaires en force d’occupation devenue une cible.

Notre vision de l’histoire de la première guerre mondiale a, elle aussi, beaucoup évoluée. De la célébration du courage et du sacrifice, de la justesse de nos vues, on est passé doucement à l’analyse, puis à la critique, puis à la synthèse objective. Il fallait ce temps pour assimiler et oser se dire à nous-mêmes ces choses, difficiles à entendre. Il fallait laisser venir le temps de l’historien après celui du citoyen.

Aujourd’hui, ce temps est venu. Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre, mais de savoir analyser les erreurs. Ce ne sont d’ailleurs pas tant les généraux que je mets en cause, mais bien plutôt les politiques.

Car les militaires, dans notre pays, sont à l’image de ce que décident les dirigeants de l’Etat. En 14, ce n’est pas la folie d’un Nivelle qui a été sanctionné, mais son inefficacité. Aucun politique au pouvoir à l’époque n’a protesté contre la boucherie du Chemin de Dames. On a protesté contre son échec.

Il a fallu Pétain – il faut le dire – pour apporter une vision du respect des hommes. Qu’on se rassure, je me donne le droit de citer Pétain pour ce qu’il a fait d’honorable, et celui de le honnir pour ce qu’il a fait plus tard.

Cela aussi est un signe des temps. Dans un discours officiel, citer Pétain était il y a peu, la faute absolue. Si j’ose le faire ici, devant ce monument, c’est bien parce que le temps de la colère a passé pour laisser la place à celui de l’objectivité.

Je me demande régulièrement quel est le sens de ces commémorations. J’en ai plusieurs fois parlé ici.

A chaque fois, je me dis qu’il y a évidemment le fameux devoir de mémoire. Certes ! Mais de la mémoire de quoi et surtout pour en faire quoi ?

Lorsqu’on lit les livres d’histoire, que l’on regarde les nombreuses émissions de télévision sur ce sujet, on voit bien que les mêmes images ont des objectifs opposés.

Des images d’une attaque voulaient, il y 30, 40 ans, célébrer le courage des hommes, ce que personne ne conteste. Il y avait même une part d’identification à ces soldats valeureux.

Les mêmes images aujourd’hui visent à démontrer l’horreur de la guerre, souvent son inutilité et en tous cas, laisse le sentiment qu’on aurait pas du tout aimé être à leur place. Nous ne leur enlevons rien aujourd’hui du respect et de l’admiration que nous leur avons toujours porté.

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